J’adore cette technique, j’ai envie d’en savoir plus et d’en parler, je fais donc cet article à mi chemin entre l’étude et le tuto. Je n’ai que 5 décoctions à mon actif, il faut prendre cet article comme une introduction, juste pour vous donner envie de tester la décoction :D C’est parti, on va touiller de la maische.
Introduction
J’ai un problème, je n’aime pas faire comme tout le monde, j’aime tester d’autres approches et me faire ma propre opinion. Le sujet ‘décoction’ représente bien un phénomène assez répandu dans le brassage amateur, le fameux “ça sert à rien”. Déjà, pour le palier protéinique, on me disait qu’avec nos malts modernes, ça servait à rien. Mais chaque brasseur a ses spécificités, il n’existe pas un process unique qui soit idéal pour tout le monde. Ce que l’on peut lire aux premiers abords à propos de la décoction ne fait pas trop rêver, c’est presque un sujet polémique. Mais en creusant, on trouve de vaillants défenseurs de la méthode, qui ont des arguments.
L’article est divisée en deux grandes parties: du bla bla pseudo théorique basé sur ma compréhension du process; puis, un exemple pratique de double décoction, qui se veut simpliste et facile à mettre en oeuvre. Je le répète, cet article n’est pas une bible mais plutôt une aide pour effectuer sa première décoction. Peut-être un jour, quand j’aurai plus de bouteilles, j’écrirai un truc plus approfondi.
Les documents intéressants
En français, je me suis basé sur deux documents assez complets, premièrement le blog ChezFanchon que j’avais déjà cité lors de ma première lager. Il y a deux méthodes décrites, la triple décoction et la simple. Il donne surtout des conseils techniques intéressants sur la décoction en général.
http://chezfanchon.overblog.com/decoction
Et un bouquin de la fin du 19ème écrit par un nancéen où il y a des infos très détaillées et quelques régles de calcul pour les trempes. C’est avec le chapitre sur la décoction sur ce bouquin que j’ai vraiment commencé à comprendre le fonctionnement.
Coté anglophone, il y a déjà un peu plus d’infos, sur la décoction et sur d’autres techniques allemandes. J’ai trouvé un peu d’infos sur le forum germanbrewing.com, quelques blogs (voir références) mais la vraie mine d’or est le wiki braukaiser.com et sa page sur la décoction :
http://braukaiser.com/wiki/index.php?title=Decoction_Mashing
Enfin, pour compléter tout ça, je m’aventure sur quelques forums allemands, mais c’est bien galère car je m’appuie sur googletrad …. Cette page contient sûrement des infos intéressantes :
http://braumagazin.de/article/verkocht-und-zugebrueht/
Il y a plein de trucs à lire mais tous ces documents ne sont pas trop illustrés. J’ai eu beaucoup de mal à imaginer comment devait se faire la décoction. J’avais trouvé une vidéo sur utube où l’on voit une décoction, c’est plus concret en image.
https://www.youtube.com/watch?v=e6Bq1Z7LcK8
Pour résumer, ya quelques trucs en matière de théorie mais c’est très pauvre en document pratique et illustré. Je vais essayer de faire un tuto simple et clair pour se lancer dans sa première décoction ;-)
La, non, Ma théorie
Il y a plusieurs façons de passer d’un palier de température à un autre pendant l’empâtage. Soit on chauffe directement la cuve matière, soit on ajoute un volume d’eau chaude, soit on prend une partie de la maische que l’on fait chauffer à part, c’est ça la décoction. Il y a trois grandes familles de décoctions : simple, double et triple. De mon point de vue, le nombre de trempes n’est pas trop important, tout semble se jouer pendant la première trempe niveau arôme. La décoction ne fait pas que monter d’un palier à un autre, il se passe d’autres choses pendant les “trempes”.
De ma petite expérience, je vois deux gros intérets à la décoction. Le plus important mais aussi le plus contreversé, est la réaction de maillard qui se passe pendant que l’on fait bouillir la trempe. La première trempe, appelée trempe épaisse, est celle qui a la plus longue ébullition. Elle est de minimum 15, 20 minutes, une coloration est bien visible ainsi qu’une odeur sympa. Attention à ne pas cramer la maische non plus ;-) La bière finale est censée avoir un côté malté plus intense, j’y reviendrais dans les conclusions. De plus, j’ai constaté une teinte légerement plus foncée dans le produit fini.
Le deuxième intéret est la limpidité, c’est pour moi très important dans certains types de bière. Je ne vais pas m’épandre sur ce sujet mais pour résumer, je pense que l’oeil peut influencer le palais. Dans une certaine mesure bien sûr, un pti bonus ;-) Bref, l’ébullition des trempes va créer plusieurs cassures à chaud et donc des albumines. Dans une infusion par exemple, ces albumines seraient créées pendant l’ébu, ça semble kif-kif. Mais ici, on les filtre avec la drèche ! C’est déjà ça en moins pour l’ébu et c’est vrai que la limpidité est là. Elle est pas forcément meilleure mais plus simple à avoir (de mon ressenti), donc moins de garde à froid par exemple.
On est là pour tester :D La décoction prend un peu plus de temps qu’une infusion, comptez 1h de plus et une casserole supplémentaire à laver. Je me motive en me disant qu’une heure d’empâtage par rapport à 4 semaines de fermentation, c’est rien ;-) Il y a un léger timing à suivre, mais rien de speed, on a qu’une chose à faire à la fois. Pour ma part, je kiff beaucoup réaliser les trempes, on se sent plus proche de la matière ! Il faut planifier ce timing à l’avance, en fait ça fait partie de la recette. Il faut faire simple au début, le but n’est pas de se dégoûter de la décoction. Je vous conseille vraiment de vous appuyer ou de dessiner un graphe avec les différents paliers (cuve matière et cuve trempe) en fonction du temps. Très, très utile en pleine action :D
Comme point de départ, on part du grain qui a été trempé dans de l’eau moyennement chaude. L’eau température visée pour la maische de départ va dépendre de la décoction choisie. Si on fait une simple décoction, on part d’une maische juste avant le mash out. Pour une double, on peut partir du palier protéinique, puis faire les deux autres paliers. Enfin la triple, on a deux choix, soit humidifier le grain à temp ambiante ou faire deux paliers de saccarification (alpha et beta). Là je résume beaucoup, car on peut avoir des schémas d’empâtage plus complexe.
Autre point important, les trempes successives n’ont pas toutes la même consistance. On va prendre de la maische très épaisse, c’est à dire du grain et peu de jus, pour la première trempe, car on veut extraire de l’arôme du malt et surtout parce que les enzymes seraient restées dans la part plus liquide de la maische. Sur la dernière trempe, on va plutôt prendre la maische la plus liquide possible, le but étant de faire une ébu courte mais violente pour avoir une grosse cassure. Il faut se méfier du débordement de la dernière trempe, ça le fait à tous les coups :D
[TODO] En terme de chauffe, il faut faire des mini empatâges sur chaque trempe. Si il reste de l’amidon à transformer, il faut faire une pause dans la montée vers l’ébu, au palier alpha amylase. Pour que ces dernières finissent le taff sur l’amidon restant. Je me posais la question du pourquoi toujours 72°C sur les trempes dans les docs sur la décoction. J’avais imaginé un genre de multipalier, 65, tantôt 72. Mais Pean Maenn du forum Brassam m’a donné la réponse. Il s’agit juste de transformer l’amidon en speed, donc en tronçons. Ces gros morceaux seront retransformés dans la cuve matière. En bonus, cela simplifie ce palier, il suffit d’etre assez haut, genre au moins 70. Pour finir ce point, la chauffe doit être balaise, il faut remuer en permanence, les changements de palier doivent être rapides. Attention au cramage du fond, j’ai eu le coup une fois, sur 4 :D
D’un coté purement pratique, la décoction simplifie les montées de palier. Ca peut surprendre d’entendre ça mais j’y vois quelques avantages. Moins de maische à chauffer, donc moins de puissance, un brûleur plus petit par exemple. Pas de souci de chauffe avec un faux fond ou autre système de filtration, il n’y a pas de chauffe directe sous la cuve matière. Je pense qu’on est plus précis sur les paliers de la cuve matière, car on prend un volume fixe par trempe et au retour dans la cuve matière, on arrive à la bonne température obligatoirement. J’ai fait les premières décoctions en prenant environ 1/3 à la première trempe et 1/2 à la deuxième, ça a marché comme par magie. On arrive à viser des températures très précises en calculant et avec l’expérience de sa pico. Le calcul reste approximatif, la connaissance de son matos (perte chaleur, puissance brûleur, recette, etc) joue le plus sur la précision à l’empâtage je trouve. Avec le recul, l’isolation de la cuve matière est primordiale !
Il y a quelques “pré-requis” pour la décoction, rien n’est indispensable sauf la cuve pour les trempes et son moyen de chauffe bien sûr. Plus de matos !!! ;-)
Le chronogramme de décoction
Vous en avez sûrement déjà croisé un, je ne sais pas si il y a un nom particulier, appelons le “le chronogramme de décoction” :D Mine de rien, il est bien pratique pour visualiser le process en amont mais aussi pendant le brassage. Je me suis même amusé à dessiner ceux de mes premières décoctions, a posteriori mais j’ai pu voir ce qui pouvait être amélioré. Bref, c’est un outil à ne pas négliger ;-)
Je ne vais pas vous mettre chaque type de décoction mais simplement quelques exemples.
La double décoction classique je dirais, enfin c’est celle que j’utilise. La première trempe prend pas mal de temps, la deuxième semble facile après :D On peut reprocher un palier protéinique trop long, je trouve que ça fait partie de la méthode, à bas les protéines ! Perso, je pense que c’est idéal pour tester la décoction, on a une première trempe bien épaisse qui chope une couleur et une odeur cool. Puis une deuxième trempe avec une cassure à chaud énorme !
Un autre schéma que j’aimerai tester est la double décoction “améliorée” que l’on trouve sur le wiki de braukaiser. L’idée est de réincorporer la première trempe en deux fois. Faire deux paliers avec une trempe, malin ;-) On passe de la température d’humidification du grain au palier protéinique avec une part de la première trempe. On écourte ensuite le palier protéinique en ajoutant la fin de la trempe. Plus tard, on fait une trempe pour le mash out.
Les prérequis
A priori, tout type de pico peut faire de la décoction, même ceux en BIAB ou glacière ! En plus de vos cuves habituelles, vous allez avoir besoin d’une cuve supplémentaire et d’un brûleur bien dimensionné pour elle. Cette cuve, dédiée pour les décoctions s’appelle cuve trempe. Si on ne fait des décoctions que sur des bières légères, alors la cuve de trempe doit avoir un volume égal à la moitié de la cuve matière (enfin de la maische pour être précis), prendre 2/3 pour être confort. Si on souhaite au contraire faire des décoctions sur des bières fortes, alors la cuve trempe doit être d’un volume égal à celui de la cuve matière. Oui c’est gros mais ça évitera les débordements lors de l’ébullition des trempes.
Il faut aussi deux autres outils, un réglet pour mesurer le volume dans la cuve trempe (et un réglet aussi pour la cuve matière idéalement). Il faut aussi un truc pour prélever la maische, j’utilise une grosse louche, c’est très pratique. On peut utiliser aussi une pelle à grain ou un broc. Enfin, comme on ne fait plus de chauffe directe sur la cuve matière, il est souvent nécessaire de l’isoler. Je ne l’ai pas fait et c’est le problème numéro 1 à régler sur la pico.
Décoction starter pack :
La pratique
Je déconseille fortement de se lancer dans la triple décoction pour la première. En plus d’être plus longue, elle ne semble pas être la plus utilisée. La double décoction est de loin la plus courante. De mon point de vue, on choisit le nombre de trempes par rapport à son process habituel. En chauffe directe, je faisais 2 paliers et le mashout, il y avait donc 2 montées de température à effectuer, d’où la double décoction. Par exemple, si vous faites du monopalier classique, pourquoi ne pas commencer par une simple décoction pour passer de votre palier au mashout.
Je vais décrire pas à pas le process pour réaliser cette double décoction. Pour chaque étape, il y aura un pti schéma pour illustrer et des photos de l’état de la maische. On se concentre sur deux cuves, la matière et la trempe. On commence le tuto à l’empâtage et on s’arrête au mash out. Bien sûr pendant la décoction, il faut préparer son eau de rinçage comme habituellement.
Etape 1
Voilà notre point de départ, l’ensemble de la maische est dans la cuve matière, on vient de réaliser l’infusion du grain dans une eau à 55°C pour atteindre le palier protéinique à 50°C. On laisse reposer 5 minutes avant d’attaquer la première trempe. La partie épaisse de la maische, c’est à dire les grains, va être plutôt au fond de la cuve. Sur le dessus, on a la partie plus liquide de la maische avec beaucoup de farine d’où la couleur très blanche. D’après mes lectures, les enzymes sont concentrées dans la partie liquide. Sur le pti schéma, la cuve à droite est la cuve trempe, à gauche la cuve matière.
Etape 2
Après 5 minutes de repos à 50°C, on va prendre 1/3 de la maische que l’on va mettre dans la cuve à trempe. On prend, à l’aide d’une louche par exemple, le plus de grains possible et très peu de liquide. Il faut aller chercher le grain au fond de la cuve matière. Sur la photo, on voit le grain qui ressort à la surface de la cuve de trempe.
Etape 3
Directement après avoir pris la trempe, on la chauffe jusqu’à 72°C assez rapidement en brassant en permanence. On fera une pause de 15 minutes à 72°C, le temps que les enzymes transforment le plus d’amidon. Pendant ce temps, le palier protéinique se poursuit dans la cuve matière. Après quelques minutes à 72°C, la trempe a pris un peu de couleur.
Etape 4
Une fois la pause de 15 minutes finie, on va chauffer la trempe épaisse pour la porter à ébullition. Il faut chauffer fort et brasser énergiquement. Une fois la maische en ébullition, on la maintient ainsi pendant 15 minutes, touiller de temps en temps. Il y a une légère montée de mousses mais rien à voir avec l’ébu de la trempe claire. La trempe va bien roussir et il y a de chouettes odeurs qui vont se dégager.
Etape 5
Après l’ébu de la trempe épaisse, il est temps de la réincorporer dans la cuve matière. Il faut brasser tout en vidant la cuve trempe dedans. On va ainsi atteindre le palier à 65°C, on va laisser la maische à cette température 35 minutes avant de prélever la deuxième trempe. On voit bien la teinte colorée de la trempe après l’ébu (photo 05a).
Etape 6
Notre cuve matière est à 65°C, on l’a laissé reposer pendant 35 minutes. On va prélever la seconde trempe, dite claire. Contrairement à la première, ici, on prend la part la plus liquide de la maische, c’est à dire le dessus (photo 06a). La trempe est plus volumineuse, environ 50% du volume total. Il ne reste presque que le grain en cuve matière (photo 06b).
Etape 7
On monte rapidement la trempe claire à ébullition. Il faut se méfier de la montée de mousse qui est très importante sur cette trempe ! On fait bouillir que 5 minutes (photo 07a), à la fin on doit voir de beaux flocons de protéines nager dans le moût (photo 07b).
Etape 8
La dernière étape de cette double décoction est de réintégrer la trempe pour atteindre le mash out. Tout comme pour la première trempe, il suffit de brasser tout en versant la trempe. On laisse reposer 10 minutes puis on pourra attaquer la recirculation. En laissant un peu reposer la maische, on peut voir des jolis nuages d’albumines :D
Conclusion
La conclusion de cet article est nécessairement mon avis sur la décoction. Si vous l’avez lu, vous savez que je suis plutôt emballé par la technique. Premièrement, sur le style de bières que j’affectionne, plutôt légèr et équilibré, la décoction est bénéfique. J’utilise que du malt de base dans mes “blondes”, quelques arômes de malt sont bienvenus. Je déteste le sucre et ce goût est différent, vraiment agréable. Le rendement est excellent sans forcer, la saccharification un peu aléatoire à l’heure actuelle. J’ai encore du mal à voir comment on conduit la transformation de l’amidon jusqu’au bout.
En terme d’aspect et de praticité, la décoction marque aussi des points. Mes bières sont encore un peu plus limpides. Le palier protéinique avait fait le gros du boulot, la décoction (avec long palier protéinique) augmente le truc. Je suis assez fier du visuel de mes binouzes et ça mousse ! En terme de process, je kiff vraiment faire les décoctions, c’est un plaisir plus qu’une contrainte. Sur les dernières décoctions, j’ai eu des problèmes de palier, je dois absoluement isoler ma cuve matière et ça sera bien plus précis.