Améliorer la limpidité de ses bières

Sunday, October 8, 2017

On va parler d’un sujet très important pour moi, la limpidité ! Quoi de plus frustrant, que d’avoir une bière qui goûte bon mais qui ne ressemble à rien dans le verre ? Pour autant, je me refuse à la “facilité” d’utiliser un clarifiant. Je vais lister les points qui m’ont permis d’améliorer la limpidité de mes bières.

Introduction

L’aspect visuel fait partie de la dégustation d’une bière, la mousse est très importante mais le visuel de la bière aussi ! Une belle robe limpide sera forcément plus brillante et on verra bien mieux les petites bulles se former à l’intérieur du verre. Mes premiers brassins étaient bien boueux, c’était frustrant. J’ai pas mal bossé sur l’aspect visuel (couleur, transparence), je vous partage mes petites expériences. Bien sûr, chaque brasseur a un contexte différent, ses propres paramètres et matières premières, ce sont des pistes à explorer qui ne donneront pas forcément de bons résultats chez vous.

Ca me désaltère déjà juste une voyant une bière bien dorée et limpide avec ses petites bulles qui remontent (BC5 brassée pendant le HopStock 2017) :

Cette quête vers une limpidité parfaite m’a permis aussi d’améliorer l’aspect gustatif de mes bières. Eh ouais, trop de protéines ou de levures impacte le goût. Ce n’est pas le but de cet article et plus dur à juger car je n’ai pas fait de test sur une même recette. En tout cas, j’ai constaté qu’une bière “boueuse” est moins clean niveau arôme et qu’on ressent moins l’amertume. J’ai goûté des bières annoncées à 60 IBU qui avaient moins de longueur en bouche et de puissance en amertume que mes bières entre 26 et 30 IBU. Bon, c’est très discutable, il y a plein de paramètres à prendre en compte, recentrons-nous sur la limpidité ;-)

On peut distinguer 3 types de troubles :

  • Un trouble causé par les protéines, qui peut être seulement présent à froid. C’est le plus persistant, pour pas dire permanent. C’est celui sur lequel on va le plus travailler.
  • Un trouble causé par des levures en suspensions. Varie en fonction des levures et fait partie de la bière artisanale, on peut l’amoindrir tout de même.
  • Un trouble causé par l’houblonnage à cru. Ne faisant pas de DH, j’ai peu d’expérience, j’aurai tendance à dire qu’il s’estompe avec le temps sans que l’on ait beaucoup de levier.

Un de mes premiers brassins, il était tellement boueux avant embouteillage qu’on ne voyait pas le densimètre. Le voile de protéines donne l’impression en plus que la couleur est plus pâle que calculée (ça devait être une bière bien dorée :o).

Palier protéinique (Enzyme protéinase)

De mon point de vue, le moyen le plus simple, le plus accessible et le plus efficace d’améliorer la limpidité de ses bières. On peut effectuer ce palier avec toutes les méthodes d’empâtage. En chauffe directe, il suffira de touiller pour ensuite remonter à son palier de saccharification habituel. En infusion, le plus simple est d’incorporer l’eau chaude en deux fois : On ajoute une partie de l’eau pour atteindre le palier protéinique. Puis à la fin de la durée du palier, on complète avec le restant d’eau chaude pour la phase de saccharification. Ce palier va transformer les plus grosses protéines en acides aminés et en protéines de plus petites tailles si j’ai bien compris la littérature.

Concrétement, pour effectuer ce palier protéinique, il faut faire une pause à une température comprise entre 45 et 55°C. De mon expérience, j’ai eu de meilleurs résultats dans la fourchette 45 - 50°C mais cela fonctionne aussi dans la fourchette haute. D’après mes lectures, il y a deux enzymes qui travaillent dont l’endopeptidase qui lui est actif entre 45 et 50°C. Le ratio d’empâtage a son importance dans le travail des enzymes, entre 3 et 3.5 litres d’eau par kilo de grain semble l’idéal.

Pour la durée, il faut compter au minimum 10 à 15 minutes et on peut le faire durer beaucoup plus longtemps sans souci. D’après mes lectures, au dela de 30 minutes, le travail des enzymes se ralentit. Si vous faites un palier court, essayez d’être proche de 50°C. Je démarre en général sur le palier protéinique, le maische est encore bien blanche à cause des farines :

C’est pas une phase très visuelle, ça travaille mais c’est pas aussi frappant que la saccharification. Après une grosse dizaines minutes ça a un peu décanté ou alors les farines se sont dissoutes, je ne sais pas trop :

Il y a une légende urbaine, un mythe qui dit que ce palier “tue” la mousse, oui oui il est dit que cela assassine littéralement la tenue de la mousse. Il y a des dogmes comme ça qui ont la vie dure, les choses ne sont pas si simple et dépendra du malt que vous utilisez. Pour ma part, j’utilise des malts assez peu transformés. Ce palier a aussi un autre avantage : les protéines sont transformées en acides aminés utiles pour les levures par exemple. Enfin, les enzymes amylases travailleraient plus vite, vu que la maische aurait trempée avant et le réveil de ces derniers serait plus soft.

J’utilise aussi ce palier aussi sur ma schwarzbier, ce n’est pas inutile, la bière est un peu plus brillante et on a de beaux reflets rubis. Je conseille ce palier sur tous les styles de bières à quelques exceptions. Peut être des bières types weizen n’en ont pas besoin, et encore car le trouble vient de la levure très peu floculante.

Cassure à chaud

En plus du palier protéinique, on peut continuer notre guerre totale contre les protéines en ayant une grosse cassure à chaud pendant l’ébullition. Sous l’effet de la chaleur, les protéines vont s’agglomérer et former les albumines, des petits flocons blancs/beiges. Ces albumines tomberont au fond de la cuve durant le refroidissement ou le whirlpool. Ou au pire, finiront dans la lie au fond du fermenteur. C’est un moyen simple d’améliorer sa limpidité, il suffit d’avoir une bonne puissance de chauffe. On dimensionne habituellement à 150W de gaz par litre de moût pré-ébu, l’ébullition doit être bien vigoureuse.

Il faut utiliser le maximum de puissance disponible pour le début d’ébullition. On constate souvent une montée de mousse à l’arrivée des 100°C, puis elle redescend quand les bouillons apparaissent. On insiste quelques dizaines de minutes, à gros bouillons, la cassure devrait se former. Pour la suite de l’ébullition, on peut y aller plus tranquille. On a des ptits flocons qui se promènent dans le mout, mélange d’albumines et de pelets ici :

En été, mon ébullition est forcément plus violente, la cassure est plus nette (ya du pelet aussi hein). Suivant l’empâtage, la cassure peut être bien plus grosse pendant l’ébu, dans mon process j’élimine déjà une partie des protéines à la filtration.

On peut aussi provoquer une autre cassure à chaud pendant son process. Si on fait son empâtage en décoction, il va y avoir une cassure à chaud pendant la trempe claire, c’est à dire la plus liquide. C’est d’autant plus intéressant, que les albumines seront retenues par le gateau de drèches lors de la filtration. C’est très chargé en protéines à ce moment et la montée de mousse peut être très impressionnante ! J’avais souvent des débordements dans une cuve de 30L avec des trempes de 15 à 18L :D On voit bien la cassure collée aux parois de la cuve trempe :

C’est l’occasion de voir un des plus beaux spectacles durant l’empâtage de mon point de vue, les nuages d’albumines se former après la dernière trempe. Plus on attend et plus le liquide se sépare des flocons qui forment des nuages, c’est beau !

Garde à froid et lagering

On dit souvent qu’une qualité essentielle pour être un bon brasseur c’est la patience. La garde à froid ou encore le lagering mettront votre patience à rude épreuve :D Après avoir maltraité les protéines, on va s’occuper du trouble causé par les levures. Ce trouble finira tôt ou tard par disparaitre, les levures tomberont nécessairement au fond du contenant que se soit le fermenteur ou la bouteille. L’intérêt de les faire sédimenter en fermenteur est de limiter le dépot au fond des bouteilles. Très peu de levures sont nécessaires pour effectuer la carbonatation en bouteille. Ainsi, on aura d’une part un dépôt très discret au fond de la bouteille et d’autre part moins de levure au service de la bière (ou moins de perte si on verse pas tout comme un bourrin :D).

De plus, si on prolonge cette garde à froid sur plusieurs semaines avec une température très basse, proche de 0°C, on effectue un lagering qui va affiner gustativement la bière. Cette phase est obligatoire sur les levures lager qui sont très longues à floculer mais sur certaines recettes de ales, c’est bénéfique aussi. Si on ne souhaite pas faire de lagering, il peut être suffisant de faire une petite garde à froid pendant 1 semaine vers les 10°C. Beaucoup font des “cold crash” à quelques degrés pendant 24 à 48h, pour moi cela n’est pas utile car trop court en temps pour avoir un résultat concret. Enfin, certaines levures sont tellement floculantes que la bière devient limpide d’elle même une fois la fermentation achevée (la WLP029 par exemple).

Les levures lager sont impressionantes tellement elles sont en suspension durant la fermentation, ça blanchit et rend presque laiteux la bière. Ici, la levure Wyeast Kölsch qui réagit presque comme une lager, les levures sont encore en suspension alors que l’on est proche de la densité finale :

Mais après deux semaines à 2°C, c’est bien limpide (j’ai eu plus limpide que cette B31 mais c’est pas dégueux :D) ! On peut poursuivre la maturation à froid, pour ma part j’embouteille quand c’est limpide :

Je compte garder cette étape le jour où je passerai en mode commercial. Certes, deux semaines c’est long mais la qualité (peut être même la stabilité) du produit est vraiment améliorée. J’ai espoir de gagner du temps sur la phase de carbonatation et de conditionnement.

Transfert fermenteur et radinerie

Toujours pour minimiser la levure en suspension, il est important de soigner le ou les transferts de fermenteur. Pour ma part, j’ai rapidement abandonné le transfert vers un nouveau fermentateur après la fin de la phase tumultueuse. Cela est intéressant pour éliminer une bonne partie de la levure (voir de la récupérer) et aider la fermentation à se finir si cette dernière est un peu molle. Je ne fais plus cette étape pour limiter le risque (mes fermenteurs sont à l’extérieur) et parce que je transfère en cuve de sucrage pour l’embouteillage sans bouger le fermenteur (faut dire 70L ça devient lourd lol).

Je recommande donc, de soutirer la bière une fois la fermentation ou la garde finie sans déplacer le fermenteur. Ainsi, la lie de levure ne sera pas bougée et des levures ne risquent pas de se remettre en suspension. Quand je suis passé à 70L, j’ai eu un problème pour déplacer la cuve de sucrage car le fermenteur est dehors et j’embouteille dans la maison. Mon pauvre dos a pris cher et j’ai essayé pour les brassins suivants de plutôt pomper la bière. Avec la topsflo, pas de souci mais avec la Novax, j’ai aspiré une grande quantité de lie et mes fonds de bouteille sont vraiment crades sur B33 comme ils ne l’ont jamais été ! Il faudrait donc, soit passer par une cuve tampon lors du soutirage, soit embouteiller par lot de 30L par exemple (ce que j’ai fait sur B34 mais c’est plus long du coup).

Enfin, ne soyons pas des pinces ! Combien de fois, j’ai transféré de la merde de fond de fermenteur pour essayer de gratter quelques litres, voir moins ! De mon point de vue, mieux vaut 2 ou 3 bouteilles de moins mais qu’elles soient parfaites plutôt que d’essayer d’en faire le plus possible. Si vous êtes vraiment des soiffards, comme moi, garder le fond de fermenteur en apéro pour la fin de l’embouteillage :D Autre détail, avec une bière très très limpide, les bouteilles doivent être parfaitement propres (ce qui devrait toujours être le cas me direz-vous) car on voit le moindre défaut de nettoyage !

Floculation levure

Toutes les levures ne réagissent pas de la même façon. Il faudra adapter votre process en fonction de la souche et de la recette. La durée de garde à froid et la procédure de mise en bouteille varieront en fonction de la levure. Par exemple, avec une levure qui est très très floculante (WLP029 ou M07), on pourrait se passer de garde tout court. Alors qu’avec une souche lager, la garde doit être longue et très froide. Sur certains styles, par exemple les hefe-weizen, on va plutôt tenter de garder ce voile de levures (sans succès sur mon premier essai :D) et d’en mettre un peu plus à l’embouteillage qu’à l’accoutumée.

Le profil de votre eau semble jouer un rôle important aussi dans la floculation. Pour le moment, je n’ai toujours pas testé de modifier mon eau, elle me convient car elle est peu minérale et relativement douce, même si le pH est un peu haut.

Concassage et malt artisanal

Pas grand chose à dire sur ce point. J’ai eu tendance au fil des brassins à concasser de plus en plus gros. Au début, étant obnubilé par le rendement d’empâtage, je concassais très très fin. Puis au fur et à mesure des brassins, j’ai concassé de plus en plus gros, afin de préserver les enveloppes des grains d’orge. Le concassage joue très peu, voire pas du tout sur la limpidité de la bière finale. Je conseille maintenant de concasser pas trop fin afin d’avoir un bon filtre de drèche et donc une filtration plus fiable et stable.

Concernant le malt artisanal, il est vrai qu’au début j’ai eu du mal à avoir une bière limpide en raison d’une quantité de protéines très importante. Et en effet, avec des malts industriels, il est assez facile d’avoir une bière limpide mais on peut avoir la même chose avec du malt artisanal en soignant son process. La première année et demi, je n’ai utilisé que du malt artisanal du Vieux Silo, j’ai fini par avoir de magnifiques bières en améliorant mon process à chaque brassin. Puis j’ai switché sur du Weyermann, la rolls des malts (c’est ce qu’il se dit et je suis plutôt d’accord) en gardant exactement le même process : mon rendement a légèrement baissé, la limpidité était encore meilleure mais pas d’autre impact par exemple concernant la mousse, comme beaucoup peuvent le craindre.

Pour l’avenir, dans la cadre de la micro-brasserie, j’ai envie de travailler avec du malt du Vieux Silo pour soutenir notre malteur local mais j’ai aussi envie de travailler avec du Weyermann pour renforcer les origines allemandes de mes recettes. Je suis partagé même si pour le moment, je pense toujours aller vers la première option.

Conclusion

J’ai classé les différents leviers pour améliorer la limpidité du plus important au moins important. Ce qui est marrant, c’est que l’ordre ainsi donné est exactement l’inverse de ce que j’ai testé au cours de mon expérience. Il est important d’être satisfait de ce que l’on fait pour se donner la motivation pour la suite. J’appelle ça le beermoral, il prend souvent cher quand on rate un brassin, alors il faut le booster avec ces quelques astuces pas si compliquées à mettre en oeuvre.

Mon process d’empâtage s’est bien complexifié avec le temps, quand je repense aux premiers brassins :D En parallèle, ma pico-brasserie s’est améliorée aussi et au final, l’un dans l’autre, ça se compense. Il est même plus confortable pour moi de sortir 70L de moût maintenant que les 20L en 2015. De plus, le moût semble d’excellente qualité et j’ai l’impression que ça joue beaucoup sur le boulot des levures (très subjectif, surtout avec l’arrivée des levures liquides depuis B20).

Enfin, je pense que l’on peut utiliser ces techniques peu importe le style de bière brassée, ce n’est pas à réserver aux bières allemandes et aux bières pales ! J’espère convaincre quelques brasseurs car je dois avouer que quand je me suis lancé dans le palier protéinique, les lagers, la décoction, je me suis senti un peu seul :D Faut avouer aussi, que cette impression d’explorer de nouvelles pistes est très motivante même si bien sûr je n’ai rien inventé !

Le dernier brassin embouteillé avant le déménagement, B34 où je crois avoir une bière encore plus limpide qu’habituellement ! Ici à température ambiante pour la photo (cause condensation) mais à 3°C, elle est pareille ! Souafffff !!!

Se méfier du CO2 déjà dissout dans la bière, il faut le prendre en compte dans le calcul du resucrage. Il y a énormement de CO2 dissout dans les lagers même si elles passent par un diacethyl rest assez long.

Références

  • Le livre Classic Beer Style Series : Bavarian Helles, 2000 Horst Dornbush : Protein Rest page 83, 84 et annexe F.
  • La police d’écriture utilisée sur les photos (pas de note de licence sur son site nicksfonts.com à l’heure actuelle) : http://www.dafont.com/fr/dymaxion-script.font
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